lundi 17 novembre 2008

Le Parfum


Dimanche à 17 heures, Jeanne s'assit sur le lit. Comme chaque dimanche, elle avait pris sur la coiffeuse le flacon de parfum. Elle le déboucha et inspira en fermant les yeux.

Les odeurs ont le pouvoir de nous renvoyer dans le passé avec une telle justesse.

Ce flacon était le premier cadeau que Georges lui avait fait, l'été où ils s'étaient rencontrés. C'était en 1943, au Havre, sur le port. Georges et Jeanne étaient instantanément tombés amoureux, au premier regard. Le vent avait arraché le chapeau de la jeune fille et Georges avait couru pour le rattraper. Il était soldat, elle était étudiante. Il avait été blessé et rapatrié au Havre pour se refaire une santé, mais il trépignait d'impatience de retourner au front. Non pas que la guerre le passionnât, mais il bouillait d'en finir avec les Allemands.

Jeanne et lui ne s'étaient plus quittés, durant 2 mois. Les plus beaux de leur vie.

Il lui avait offert ce parfum un jour de promenade où, passant devant une parfumerie, Jeanne s'était arrêtée quelques instants. Georges n'avait pas hésité une seconde et avait tiré Jeanne par le bras pour l'entraîner à l'intérieur de la boutique. Ils avaient respiré ensemble les odeurs.

En débouchant un flacon, ils s'étaient regardés et avaient compris que c'était celui-ci. Le parfum de leur amour.

La première image qui revenait immédiatement à l'esprit de Jeanne chaque dimanche en respirant cette odeur était ce regard échangé avec Georges.

Tout ce qui suffit aux amoureux se trouve dans le regard de l'autre. Tout ce qui se trouve dans le regard de l'autre suffit aux amoureux.

Jamais ils ne s'étaient dit "je t'aime", mais il n'en était nul besoin.

Jeanne avait porté le parfum tous les jours jusqu'à ses 39 ans, et avec lui, tous ses souvenirs.

C'était le premier cadeau que Georges lui avait fait, c'était aussi le dernier. Georges était reparti en Allemagne et y était mort. Pendant 21 années, Jeanne avait pleuré Georges, l'amour de sa vie.

Puis, elle s'était mariée. Elle avait acheté un dernier flacon de parfum, mais ne l'avait jamais plus porté. Ce n'était pas à cause de son mari ou parce qu'elle avait cessé d'aimer Georges. A force, elle avait juste cessé de sentir l'odeur sur elle et à ce moment elle s'était donné à un autre. Pour ne pas rester seule, et pour fonder une famille.

Depuis, chaque dimanche en fin d'après-midi, elle débouchait le flacon et respirait son amour perdu. Elle se l'accordait une fois par semaine, d'abord pour ne pas trop éventer le parfum qui ne se fabriquait plus, mais surtout pour ne pas s'habituer à l'odeur et ainsi retrouver intact le premier souvenir qui la submergeait.

Au fur et à mesure des années, cela ne lui avait pourtant plus suffi. La puissance du parfum avait faibli et avec elle la vigueur de ses souvenirs. Alors Jeanne s'était mise à imaginer. Elle s'était fabriqué des souvenirs de Georges, et petit à petit, elle s'était fabriqué toute une vie à ses côtés.

Dans sa tête, ils s'étaient mariés, avaient eu des enfants et avaient partagés une vie de bonheur intense. Chaque dimanche sur son lit, après une semaine de vie dans la réalité, Jeanne reprenait sa vie avec Georges, là où elle l'avait laissée 7 jours plus tôt. En quelques heures, elle s'imaginait une semaine avec son grand amour. Georges avait finalement vieilli à ses côtés, dans son esprit, et il avait toujours gardé ce regard velouté qui disait tout, ce regard inoubliable que lui renvoyait le parfum.

Il y a quelques temps, Jeanne avait commencé à avoir des petits trous de mémoires et avait été consulter. Le verdict avait été sans appel, il s'agissait d'un début d'Alzheimer.

Bientôt, elle allait perdre tous ses souvenirs, les vrais et les faux. Elle allait perdre Georges pour toujours une seconde fois. Alors elle se dépêchait de vivre encore avec lui, en pensées.

- Chérie ! Descends donc, c'est l'heure de ton médicament.

Jeanne ouvrit les yeux.

- Oui, Georges, j'arrive tout de suite.

- Georges ? Mais c'est qui ça, Georges ? Chérie ?

Après tout, peut-être que l'imagination était plus forte que les souvenirs, et peut-être qu'avec la maladie, Georges serait là plus souvent.

4 commentaires:

patsy54 a dit…

trop bien trop bien j'aime trop cest vachement beau il faut que tu en fasses un bouquin je serais la premiere a lacheter!!!

Lilas a dit…

Félicitations ! C'est encore une bien belle histoire.

Oriane a dit…

patsy54 : Ca me touche beaucoup merci ! Que les dieux de l'édition t'entendent !

lilas : Merci (et pour ta fidélité) :)

Anonyme a dit…

Jolie histoire, je crois que celle-là c'est ma préférée pour l'instant!