dimanche 4 janvier 2009

L'imposteur

Toute ma vie, je n’ai fait que broder. Je ne suis né ni beau ni riche, ni particulièrement intelligent. Je n’ai aucun talent, qu’il soit artistique, manuel ou intellectuel. Et qu’y a-t-il de pire que d’être insignifiant ?

Laid, j’aurais pu compenser en ayant de l’esprit. Avec de l’argent, j’aurais pu m’offrir l’attention de chacun. Talentueux, j’aurais brillé, on m’aurait admiré. Mais je n’ai rien eu à compenser, rien eu pour attirer, rien eu pour briller. Quel manque de veine ! J’ai longtemps été transparent. Invisible, inodore, incolore. Quand j’y repense, je trouve ça presque drôle.

Et puis, quand j’ai eu 23 ans, je suis allé dîner chez des amis de mes parents. Etant insignifiant, je n’avais pas de vie sociale et vivais encore au domicile parental. Ce soir-là, je rencontrai un jeune homme qui changea ma vie. Ce ne fut pas le genre de rencontre auquel vous pensez. Bien que je n’en eusse pas encore beaucoup profité à cette époque, je savais fort bien que j’aimais les femmes.

Ce jeune homme m’a tout de même bouleversé. Au début, comme tout le monde, je fus subjugué par son charme, sa présence, son naturel. Il menait systématiquement la conversation. Il avait toujours une anecdote croustillante à servir. Tout le monde était pendu à ses lèvres. Les hommes, les femmes, les enfants, avaient constamment le regard tourné vers lui. Je tombai dans le panneau comme les autres. Dans mon rôle d’homme invisible, j’étais d’autant plus habitué à écouter, en silence. Il y a un certain confort là-dedans. On peut s’oublier, oublier le regard des autres puisqu’il n’est pas porté sur vous. C’est reposant. Faire des efforts en société est fatiguant. Surtout que les miens n’étaient jamais récompensés.

Alors, au début de cette soirée, je me pris au délice de savourer ces conversations légères, qui ne me demandaient aucun investissement.

Au bout d’un moment, je remarquai une jeune femme particulièrement séduite par notre conteur. Elle était plutôt jolie, plutôt à mon goût. Dans ses yeux brillait du désir pour cet homme. Avec quelques fines histoires, il avait réussi à lui donner le frisson. S’il voulait conclure, il ne lui restait plus qu’à venir la cueillir au terme de la soirée. C’était dans la poche. J’étais jaloux. Il m’avait pourtant charmé aussi. Mais pourquoi était-ce lui qui avait hérité cet aplomb, ce charme ? Pourquoi n’était-ce pas moi ? Qu’avait-il de plus, au fond ?

Tout à coup, je le regardai différemment. Le fait de lui en vouloir fit tomber le masque du type parfait. Et sous ce masque que les autres voyaient encore, j’aperçus un homme ordinaire. Il n’était pas beau. Il était quelconque. Un physique banal transcendé par un discours fabuleux. Mais sans ce discours fabuleux, ç’aurait tout aussi bien pu être moi.

Après cette curieuse découverte, je l’écoutai plus attentivement. Je me rendis compte que tout n’était pas cohérent dans ce qu’il racontait. Il fabulait ! C’était un imposteur, mais de génie. Et s’il y arrivait, je pouvais y arriver, moi aussi.

J’étudiai son comportement toute la soirée. Sa manière de rebondir, de tomber juste, de savoir ce qui exciterait la curiosité. Il avait une imagination extraordinaire, et je crois que j’avais développé la mienne, à force de rêver à ce que je n’avais pas. Il ne me manquait que l’assurance. Son souvenir me l’offrit. Le fait de savoir qu’il avait réussi avec les mêmes armes dont je disposais suffit à me donner confiance.

Travaillant depuis 1 année déjà, je me décidai à quitter la banlieue de mon enfance éteinte, pour la grande ville. Paris. Une nouvelle vie commença.

Je façonnai mon personnage en sortant le soir, dans des bars, où, arrivé seul, je repartais avec des tas d’amis, subjugués par ma vie. Je leur parlais de mon enfance en Inde, de mon adolescence en Russie, où j’étais déjà considéré comme un prodige de l’écriture, de mon expérience de soldat, de mes origines aristocratiques, de mes parents, tantôt anciens espions de guerre, tantôt musiciens renommés. J’inventais des noms, je réinventais des époques.

Après les amis, vinrent les femmes. Des tas de femmes. Elles étaient mes muses lorsque j’étais artiste, mes nourrices lorsque j’étais meurtri par la vie, mes maîtresses lorsque j’étais séducteur. Je crois que plus d’une se sont douté que je n’étais pas ce que je prétendais. Mais elles restaient, charmées d’avoir été charmées.

Il y a tout de même un inconvénient à tout cela. Mon imposture m’interdisait de m’attacher et d’éprouver des sentiments. Au début, cela me convenait parfaitement. J’avais du temps à rattraper et des femmes à consommer.

Et puis, je me mis tout doucement à vieillir. L’immortalité de mes personnages n’empêchait pas la mortalité de mon être. Au contraire de Dorian Gray, ce n’était pas le portrait que j’avais peint des années plus tôt qui se fanait, mais bien mon visage. Et même si mon charme ne tarissait pas, et qu’autour de moi grouillaient encore des disciples, lorsque je regardais ma vie en face je n’y voyais que du vide. Je n’avais pas créé de famille, je n’avais pas de vrais amis, je n’aurai pas une bonne retraite, et je mourrai seul.

Peut-être à cause de tout ça, un jour, ce qui ne pouvait se produire se produisit. Je tombai amoureux. Au début, Odette fut séduite, comme les autres. Je lui parlai de mille vies que j’avais vécues. Et puis, sans comprendre vraiment pourquoi, là où je m’éloignais naturellement des femmes au bout d’un moment, auprès d’elle je restai. Finalement, c’est moi qui suis tombé sous son charme, bien plus qu’elle. Elle, elle s’est amouraché d’un personnage fantasque et facile à aimer. Mais moi, j’aime Odette, pour ce qu’elle est.

Aujourd’hui, j’ai 63 ans. Quarante ans que dure cette mascarade.

Dans ma poche se trouve une bague, pour Odette. Je suis devant chez elle depuis 40 minutes. Pour elle, aujourd’hui, je suis prêt à abandonner toutes mes histoires, pour qu’elle puisse m’aimer tel que je suis vraiment. Mais m’aimera-t-elle ? Aimera-t-elle le jeune homme que j’ai moi-même abandonné sur le bord de la route il y a si longtemps ? Aimera-t-elle cet homme insignifiant, insipide, inodore, incolore ? Acceptera-t-elle cette ombre du type merveilleux qu’elle a connu ? Me pardonnera-t-elle de lui avoir menti pendant 2 ans ?

Mais au fond, je ne suis pas un menteur. J’ai juste passé ma vie à l’imaginer.

lundi 24 novembre 2008

Le pays des mots goûtus

Pourquoi ce blog se nomme-t-il "Les mots goûtus" ? Parce que mon désir d'écriture est parti d'une première histoire : "Le pays des mots goûtus".
Je l'ai écrite en 3 semaines, et ça a été une vraie révélation pour moi. Je savais depuis longtemps que je voulais écrire, mais quelque chose était bloqué. L'écriture de ce premier livre a été une période de bonheur et d'épanouissement.

Dans 2 jours débute le salon du livre jeunesse à Montreuil. Il est donc temps de me replonger dans mes histoires, et de vous les faire découvrir.

Ce billet a déjà été publié sur mon blog Chic'n Kitsch, ici.


Le pays des mots goûtus est l'histoire d'Hélio, un garçon de 8 ans qui n'aime pas l'orthographe, et qui grâce à une marionnette, va visiter le pays où l'on fabrique les mots. Ce pays est un endroit magique où les lettres de l'alphabet poussent sur des plantes, sont cultivées et transformées en mots, pour être ensuite soufflées à l'oreille des humains. C'est ce que l'on appelle l'inspiration...

Chaque porte entrouverte dans le monde est un portail magique vers le pays des mots goûtus, qui laisse passer l'inspiration.

Lors de son voyage, Hélio découvre que les mots doivent être respectés, que l'on peut s'amuser avec eux et surtout, qu'ils se mangent !

Car au pays des mots goûtus, on goûte les mots pour les tester. La "gourmandise" est doux et sucré tandis que la "culpabilité" donne mal au ventre et mauvaise conscience...

Au milieu de personnages loufoques et passionnés, Hélio apprend à aimer l'orthographe et cette langue française parfois si compliquée...


Cette histoire a un but éducatif, mais reste fantastique, pour faire rêver les enfants.
Les enfants d'aujourd'hui ont encore besoin de rêver, non ? Et certainement besoin de réapprendre à aimer lire et écrire. Qu'en pensez-vous ?

Extrait :

Le professeur se dirigea, suivi des deux autres, vers le milieu de l’énorme pièce. Tout autour d’eux s’affairaient de minuscules créatures, ressemblant à des bibendums bleu ciel. Ils couraient à toute allure sur leurs petites jambes dodues et souriaient à pleines dents. Certains transportaient des paniers remplis de lettres, d’autres des tubes à essais fumants. Trois d’entre eux s’approchèrent et se saisirent des paniers garnis des deux visiteurs.
- La première étape de la fabrication d’un mot commence ici, dit le professeur. Aidé de mes fidèles compagnons les Boublis...
Il s’interrompit, puis s’esclaffant, reprit :
- Ce sont de petites boules de chewing-gum sur pattes, ah ah ! C’est moi qui les ai créés ! Cela devenait difficile tout seul, il y avait beaucoup trop de travail... Alors je les ai modelés grâce à la gomme contenue dans les feuilles des plantes à lettres. Mais n’essaie pas d’en mâcher un, d’accord ? Ils sont beaucoup trop utiles ici.
- Il est complètement fou, chuchota Hélio à la marionnette.
- Ah ! Nous voici au cœur de mon laboratoire, continua le professeur. Je te recommande de ne toucher à rien, c’est dangereux.
Ils s’étaient arrêtés au centre de la pièce, au milieu d’un fouillis de marmites posées sur des gazinières, et de plans de travail couverts de fioles et de taches gluantes. Cela ressemblait plus à une cuisine qu’à un laboratoire. Il y régnait un désordre impressionnant.
En l’air, à travers le toit ouvrant, on apercevait toujours le même ciel illuminé de portes.
- Bien, dit le professeur Expérenmot tout en farfouillant dans les casseroles et les marmites. Ma lourde tâche consiste comme tu dois le savoir à créer des mots. Et ce n’est pas de tout repos... Il faut faire attention à bien doser les lettres, à ne pas faire des mots trop longs ou trop compliqués. J’essayais justement tout à l’heure une nouvelle combinaison de consonnes pour créer un mot sans voyelles... Cela fait un moment que je travaille là-dessus, mais malheureusement, c’est infructueux. Cela semble impossible. J’ai tenté de mélanger des « R », des « T », des « S » à un « D », un « B » et un « C », et ça a donné quelque chose comme « Strbrdstrc ». Imprononçable ! J’ai alors ajouté un ou deux « N », histoire d’adoucir la prononciation, mais le résultat m’a explosé au visage !
Le professeur se pencha et souleva une marmite posée au sol. Le couvercle était déchiqueté au milieu et on aurait dit un chou-fleur en métal.
Là, un Boubli accourut, secoua la tête énergiquement en regardant la marmite et la prit des mains du professeur, sans doute pour aller la jeter, puis disparut.
- Voilà une bonne chose de faite, dit le professeur. Comme je te le disais, c’est compliqué de former des mots. Ça ne fait pas toujours ce qu’on veut.
Il courut à l’autre bout du plan de travail encombré et ramena un panier comme ceux que transportaient les boublis.
- Ces lettres sont triées par cohérence par mes chers assistants caoutchouteux. Par exemple, ils ne vont pas mettre tous les « Z » dans le même panier, ce serait absurde ! On ne peut pas faire un mot avec plusieurs « Z ». Enfin... à part Zizanie peut-être, ou Zigzag. Et puis, il faut qu’il y ait assez de voyelles, puisque, comme tu as vu, les consonnes ne sont pas capables de former des mots toutes seules !
Il tendit le panier à Hélio.
- Tiens, vas-y, prends une lettre. Ce « H » par exemple.
Hélio saisit un « H » qui faisait deux fois la taille de sa main.
- Goûte-la maintenant.
- Hein ? dit le garçon horrifié. Ça se mange ?
- Lèche-la un peu tu verras.
Il hésita mais ne voulant pas contrarier le professeur, il porta la lettre à sa bouche.
- Ça a pas de goût !
- Exactement ! exulta le professeur. Une lettre toute seule n’a aucun goût, aucun intérêt ! Un « H » sans rien derrière ne t’apprend rien ! Rien de rien ! Il faut l’associer à d’autres lettres pour qu’apparaisse la magie ! Imagine un peu si on ne parlait qu’avec des lettres ! H I O U G M K E ! S R Y T J I P W... On n’irait pas loin, n’est-ce pas ? Et maintenant, tu vas goûter ceci.
Le professeur attrapa une fiole qui contenait un liquide rose et la donna au garçon.
Hélio avala une gorgée du breuvage. C’était délicieux. Sucré, doux, parfumé. Ça lui rappelait à la fois la barbe à papa, le chocolat, la glace à la fraise avec chantilly, les caramels mous, la guimauve... Ça donnait envie d’en reprendre. Une envie irrésistible.
- Gourmandise ! s’écria-t-il soudain. Gourmand, gourmande, gourmet, goût.
C’est ce qui lui était venu à l’esprit en goûtant la boisson rose. Les mots étaient sortis tout seul.
- Bravo ! Hourra ! hurla le professeur. J’ai bien choisi, tu ne trouves pas ? Tu viens de goûter le mot « Gourmandise ». C’est un mot qui a été fabriqué à partir du mot latin Gustus qui veut dire « Goût ». Le latin n’est plus parlé aujourd’hui, et il fallait un mot pour désigner le plaisir de manger ! J’ai donc pris ce mot Gustus, et je l’ai transformé en « Gourmandise ». Quel délice... en le prononçant, on sait tout de suite que ce mot désigne une chose agréable ! Certains disent que c’est un péché, mais moi je ne trouve pas. Contrairement à la « Gloutonnerie » qui est le fait de s’empiffrer, excuse-moi d’employer ce terme... Celui-là je ne te le ferai pas goûter...

lundi 17 novembre 2008

Le Parfum


Dimanche à 17 heures, Jeanne s'assit sur le lit. Comme chaque dimanche, elle avait pris sur la coiffeuse le flacon de parfum. Elle le déboucha et inspira en fermant les yeux.

Les odeurs ont le pouvoir de nous renvoyer dans le passé avec une telle justesse.

Ce flacon était le premier cadeau que Georges lui avait fait, l'été où ils s'étaient rencontrés. C'était en 1943, au Havre, sur le port. Georges et Jeanne étaient instantanément tombés amoureux, au premier regard. Le vent avait arraché le chapeau de la jeune fille et Georges avait couru pour le rattraper. Il était soldat, elle était étudiante. Il avait été blessé et rapatrié au Havre pour se refaire une santé, mais il trépignait d'impatience de retourner au front. Non pas que la guerre le passionnât, mais il bouillait d'en finir avec les Allemands.

Jeanne et lui ne s'étaient plus quittés, durant 2 mois. Les plus beaux de leur vie.

Il lui avait offert ce parfum un jour de promenade où, passant devant une parfumerie, Jeanne s'était arrêtée quelques instants. Georges n'avait pas hésité une seconde et avait tiré Jeanne par le bras pour l'entraîner à l'intérieur de la boutique. Ils avaient respiré ensemble les odeurs.

En débouchant un flacon, ils s'étaient regardés et avaient compris que c'était celui-ci. Le parfum de leur amour.

La première image qui revenait immédiatement à l'esprit de Jeanne chaque dimanche en respirant cette odeur était ce regard échangé avec Georges.

Tout ce qui suffit aux amoureux se trouve dans le regard de l'autre. Tout ce qui se trouve dans le regard de l'autre suffit aux amoureux.

Jamais ils ne s'étaient dit "je t'aime", mais il n'en était nul besoin.

Jeanne avait porté le parfum tous les jours jusqu'à ses 39 ans, et avec lui, tous ses souvenirs.

C'était le premier cadeau que Georges lui avait fait, c'était aussi le dernier. Georges était reparti en Allemagne et y était mort. Pendant 21 années, Jeanne avait pleuré Georges, l'amour de sa vie.

Puis, elle s'était mariée. Elle avait acheté un dernier flacon de parfum, mais ne l'avait jamais plus porté. Ce n'était pas à cause de son mari ou parce qu'elle avait cessé d'aimer Georges. A force, elle avait juste cessé de sentir l'odeur sur elle et à ce moment elle s'était donné à un autre. Pour ne pas rester seule, et pour fonder une famille.

Depuis, chaque dimanche en fin d'après-midi, elle débouchait le flacon et respirait son amour perdu. Elle se l'accordait une fois par semaine, d'abord pour ne pas trop éventer le parfum qui ne se fabriquait plus, mais surtout pour ne pas s'habituer à l'odeur et ainsi retrouver intact le premier souvenir qui la submergeait.

Au fur et à mesure des années, cela ne lui avait pourtant plus suffi. La puissance du parfum avait faibli et avec elle la vigueur de ses souvenirs. Alors Jeanne s'était mise à imaginer. Elle s'était fabriqué des souvenirs de Georges, et petit à petit, elle s'était fabriqué toute une vie à ses côtés.

Dans sa tête, ils s'étaient mariés, avaient eu des enfants et avaient partagés une vie de bonheur intense. Chaque dimanche sur son lit, après une semaine de vie dans la réalité, Jeanne reprenait sa vie avec Georges, là où elle l'avait laissée 7 jours plus tôt. En quelques heures, elle s'imaginait une semaine avec son grand amour. Georges avait finalement vieilli à ses côtés, dans son esprit, et il avait toujours gardé ce regard velouté qui disait tout, ce regard inoubliable que lui renvoyait le parfum.

Il y a quelques temps, Jeanne avait commencé à avoir des petits trous de mémoires et avait été consulter. Le verdict avait été sans appel, il s'agissait d'un début d'Alzheimer.

Bientôt, elle allait perdre tous ses souvenirs, les vrais et les faux. Elle allait perdre Georges pour toujours une seconde fois. Alors elle se dépêchait de vivre encore avec lui, en pensées.

- Chérie ! Descends donc, c'est l'heure de ton médicament.

Jeanne ouvrit les yeux.

- Oui, Georges, j'arrive tout de suite.

- Georges ? Mais c'est qui ça, Georges ? Chérie ?

Après tout, peut-être que l'imagination était plus forte que les souvenirs, et peut-être qu'avec la maladie, Georges serait là plus souvent.

mercredi 12 novembre 2008

LE TRESOR DES JOURS DE GRIS

La musique démarre quand le toit du chapiteau se soulève, laissant apparaître la petite scène circulaire. Monsieur Loyal, habillé de sa queue de pie rouge, lève les bras pour accueillir le public et présenter les numéros des artistes. Il tourne sur lui-même afin de s’adresser à tout le monde, puis il salue et laisse la place. Le spectacle peut commencer. Victor est aux anges. Il adore le cirque.


Les fauves entrent en piste sous une salve d’applaudissements. Un tigre à qui il ne reste plus qu’une rayure se met à faire le beau devant son dompteur tandis qu’il agite son fouet. Tout à coup, un lion rugissant s’élance à travers un cerceau enflammé, faisant sursauter les plus jeunes. Le dompteur fait claquer son fouet et mène sa troupe à la baguette. Les animaux se rejoignent en cercle et font la révérence, sous les acclamations du public. Les yeux de Victor brillent lorsque vient le tour du jongleur, qui se tient en équilibre sur le dos d’un éléphant à 3 pattes. Les quilles s’envolent et tournoient sans répit. Elles dansent dans l’air et Victor est médusé, comme toujours. C’est son numéro préféré.


Puis c’est le ballet aérien des trapézistes qui commence… Avec leurs justaucorps jaune passé, elles se balancent, tournicotent et tournicotent, alors que juste en dessous, l’équilibriste avec son ombrelle met un pied sur son fil. Tout le monde retient son souffle. Si elle tombe, c’est la catastrophe ! Victor est effrayé chaque fois, mais elle ne tombe jamais.


Le clown entre en scène pour le rassurer. Son nez rouge est tombé depuis longtemps mais les enfants rient et les adultes oublient leurs soucis. La magie du cirque a opéré une fois de plus.

Tous les acrobates et les fauves, les dompteurs et les jongleurs se réunissent autour de Monsieur Loyal qui tire son chapeau à ses artistes. Tout se met à tourner, les couleurs se mélangent et Victor est étourdi de joie quand le spectacle s’achève en une apothéose musicale.



Victor referme sa boîte à musique et la pose délicatement sur la commode défoncée. Par la fenêtre il voit les toits délabrés au loin et le chemin de fer en bas. Le passage d’un train fait trembler les murs et des miettes de peinture tombent sur le sol et la commode. La boîte vacille. Victor la rattrape et la serre contre son coeur. Son cirque, son trésor des jours de gris.

* Texte extrait d'un projet sur le thème "il reste toujours l'imagination".

dimanche 9 novembre 2008

Dieu avait de l'imagination

Croyants ou non, nous connaissons tous l’histoire de la Création du monde. Si vous voulez mon avis, la version de l’ancien testament est un peu erronée. Il se trouve qu’un vieux sage m’a soufflé à l’oreille la vraie histoire. A mon tour de vous délivrer le secret.


Dieu était un père célibataire élevant seul son fils Jésus. Il était débordé, entre son travail d’inventeur d’une part, et les couches et les biberons de l’autre. Mais c’était un père attentionné, généreux et aimant. Son fils passait avant tout. Pour lui il imaginait toutes sortes de jeux, plus inventifs les uns que les autres. Dieu avait de l’or dans les doigts. Il pouvait tout fabriquer et donnait vie à chacune de ses créations.


En grandissant, Jésus se mit à poser des questions sur sa mère. Dieu redoubla d’efforts pour détourner l’attention de son fils et combler ce manque. Il inventa plus d’histoires et plus de jeux. Mais Jésus était triste et en colère. C’était un enfant solitaire et angoissé. Il faisait des cauchemars, ne voulait plus dormir et Dieu était inquiet. Il fallait trouver une solution, inventer une chose tellement passionnante que Jésus ne penserait plus à rien d’autre.


Un lundi, Dieu eut une idée. Il travailla comme un forcené en sus de son labeur habituel, et le soir, il rapporta une grande boîte qu’il tendit à Jésus.

- Tiens, fils, c’est pour toi. Ouvre-la !

Jésus prit la boîte, et l’ouvrit. Elle était dorée à l’extérieur, et noire à l’intérieur. Dedans flottait une boule. Jésus fut immédiatement fasciné par la sphère. Elle était dure, mais sa surface était liquide.

Dieu expliqua :

- L’eau apaise la colère. La boîte est grande et tu pourras y enfermer tes peurs pour ne plus les affronter, mais aussi tes rêves pour les protéger. Quand tu la fermeras, tu oublieras tes problèmes, ils seront prisonniers des ténèbres de la boîte. Et quand tu la rouvriras, le reflet du jour sur l’eau te montrera la beauté de la vie.

Jésus sourit et remercia son père. Toute la soirée, il regarda sa boule d’eau, et lorsqu’il referma la boîte au moment de se coucher, il s’endormit comme un bébé.


Le lendemain, Jésus vint trouver son père avec sa boîte sous le bras et lui dit :

- Papa, j’ai bien fait comme tu m’as dit hier. J’ai laissé mes peurs dans les ténèbres de la boîte, et j’ai protégé mes rêves aussi. Mais quand je l’ai ouverte ce matin, ce que j’y avais laissé a tout troublé l’eau et je ne peux plus voir la beauté du monde s’y refléter.

Dieu regarda à l’intérieur de la boîte et vit que son fils avait dit vrai. La belle surface liquide de la boule était toute brouillée et bouillonnée, et plus un reflet ne s’y accrochait.

- Ne t’inquiète pas mon fils, je vais réparer ça dans la journée !


Dieu partit travailler, et pendant ses pauses café et déjeuner, il s’occupa de la boîte de son fils.

En rentrant, il la tendit à Jésus qui l’ouvrit. Avec bonheur, il retrouva la boule d’eau, brillante et lisse, et son visage s’y refléta.

- Comment tu as fait ? cria-t-il.

- Ca n’a pas été facile, répondit Dieu. J’ai fabriqué une enveloppe de gaz pour protéger la surface de l’eau. Ainsi, rien ne pourra la troubler et elle restera lisse et brillante. J’ai appelé l’enveloppe ciel, et je l’ai fait bleu, car c’est la couleur de la sérénité.

- C’est encore plus beau comme ça ! Merci, dit Jésus.

Et il passa le reste de la soirée à contempler son ciel et son eau.


Le mercredi, au réveil, Jésus courut voir son père avec sa boîte sous le bras.

- Papa ! Papa ! J’ai tellement regardé la boule que cette nuit j’en ai rêvé, et je m’y noyais ! Il faut que tu fasses quelque chose !

- Ne t’inquiète pas fils, je vais arranger ça dans la journée !

Dieu emmena la boîte avec lui et s’occupa de résoudre le problème.

Lorsqu’il rentra le soir, Jésus l’attendait déjà et se jeta sur son butin.

La boule était toujours aussi lisse et brillante, mais au milieu se trouvait une tache marron.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda Jésus.

- Ca, dit Dieu, c’est un peu de sable et de poussière. Ainsi, dans ton sommeil, tu ne pourras plus te noyer, car il y aura désormais un morceau de terre ferme pour t’accueillir. De plus, grâce à l’eau, la terre produira bientôt une herbe verte, douce et grasse où tu pourras te reposer, et des arbres qui te donneront des fruits juteux pour te sustenter.

Fou de joie, le fils remercia son père et toute la soirée il observa son bout de terre, afin d’y voir pousser l’herbe.


Le lendemain, Jésus se réveilla et courut voir son père.

- Papa ! J’ai rêvé de mon lopin de terre, et l’herbe y était douce et grasse, comme tu l’avais dit. Mais il faisait tellement noir que je n’ai pas pu voir si elle était bien verte. Et puis, j’ai eu un peu peur…

- Ne t’inquiète pas fils, je vais arranger ça dans la journée !

Dieu partit une nouvelle fois avec la boîte sous le bras et travailla encore et encore.

Quand il rentra, il expliqua à Jésus :

- A l’intérieur de ta boîte, j’ai mis des milliers de minuscules billes phosphorescentes, ainsi, ta terre sera toujours éclairée, même la nuit lorsque la boîte sera fermée. Tu pourras voir si l’herbe est bien verte.

Dieu montra alors un bouton noir sur le couvercle doré.

- Pendant la journée, lorsque tu seras à l’école, il faudra appuyer sur ce bouton, et une petite ampoule s’allumera à l’intérieur. Je l’ai appelée le soleil, et elle rechargera les minuscules billes que j’ai nommées étoiles. Mais attention, il faudra bien penser à l’allumer chaque jour, et à l’éteindre chaque soir.

- Je te le promets, dit Jésus. Merci papa !

Et il n’oublia pas d’éteindre le soleil avant de se coucher.


Vendredi, Jésus dit à son père :

- Papa, cette nuit, j’ai rêvé de ma terre. Les étoiles brillaient à travers le ciel, c’était fabuleux. Mais il m’a dit qu’il s’ennuyait quand je n’étais pas là, et l’eau aussi. Il faut faire quelque chose…

- Ne t’inquiète pas fils, je vais arranger ça dans la journée !

Dieu travailla d’arrache-pied, et lorsqu’il rentra le soir, il tendit sa boîte à Jésus.

- Tu ne pourras pas le voir d’ici, mais j’ai mis dans l’eau de ta boule des milliers de créatures qui ne se noient pas, et ainsi elle ne s’ennuiera plus. Dans le ciel, j’ai mis des milliers de créatures qui peuvent voler et ne tombent pas dans l’eau. Et tu peux toujours voir le reflet de la beauté du monde dans ta boule.

- Merci papa ! C’est formidable.

Jésus attendit la nuit avec impatience afin de rêver à ces créatures.


Le lendemain, il courut voir Dieu et lui dit :

- Papa, j’ai rêvé de toutes tes créatures et elles étaient magnifiques. Elles nageaient et volaient, c’était fabuleux. Je n’avais jamais rien vu de plus beau. Mais elles étaient si loin que je n’ai pas pu leur parler, et sur ma terre, j’étais seul avec mon herbe !

- Ne t’inquiète pas fils, je vais arranger ça dans la journée !

Comme on était samedi, Dieu eut cette fois bien plus de temps pour s’occuper du problème de son fils, et le soir il vint le trouver avec sa boîte.

- Pour toi fils, j’ai travaillé la journée entière et comblé tous tes désirs. J’ai d’abord installé sur ta terre toutes sortes de créatures, qui galoperont et ramperont sans cesse autour de toi. Et puis, j’ai pensé qu’il manquait encore quelque chose. Alors, pour que tu ne t’ennuies plus jamais et que tu n’aies plus peur, j’ai créé un garçon et une fille, et je les ai placés sur ta terre. Ils y seront chez eux et vivront avec les autres créatures de la terre, du ciel et de l’eau. Quand tu iras leur rendre visite, il se passera toujours quelque chose et tout évoluera, ainsi tu ne t’ennuieras plus jamais.

Jésus était aux anges et embrassa son père.

Dieu était un génie. En 6 jours, il avait réussi à rendre le sourire à son fils et à lui faire oublier ses angoisses.


Le lendemain, dimanche, Jésus vint trouver Dieu qui se reposait après sa dure semaine.

- Papa, cette nuit, j’ai rêvé de la Terre, et c’était extraordinaire ! Le garçon et la fille sont très gentils et je me suis amusé avec toutes les créatures galopant et rampant.

Jésus hésita et ajouta :

- Papa, est-ce je pourrais vivre sur la Terre ? C’est tellement merveilleux !

Dieu soupira et lui dit :

- Pas aujourd’hui mon fils, je suis trop fatigué. Nous verrons plus tard.



Plus tard, bien plus tard, alors que tout avait évolué sur la Terre, que les Hommes et les créatures du ciel, de la terre et de l’eau s’étaient multipliés, Dieu autorisa Jésus à partir vivre dans sa boule. Mais malheureusement, lui et les Hommes ne parlaient plus le même langage.


* Texte extrait d'un projet sur le thème "il reste toujours l'imagination"

vendredi 7 novembre 2008

Les mots goûtus


Je rêve d'un monde où les mots se mangeraient comme des gâteaux,
un monde simple et poétique,
un monde où les adultes seraient de grands enfants qui n'ont pas perdu leurs couleurs,
un monde où les ballons pousseraient en grappes sur les arbres...
et c'est pour cela que j'écris.
Parce que ce monde n'existe pas.

Par bonheur, mon coeur d'enfant n'a pas fané dans mon corps d'adulte, et ma tête est encore pleine de contes de fées.

Sur ce blog j'ai envie de partager mes histoires, mes projets d'écriture pour enfants, et mes textes pour adultes.

Si d'aventure vous passiez par là, et que par bonheur vous soyez éditeur, mes projets n'attendent que vous pour se réaliser.

Et si vous êtes lecteur, alors lisez-moi !